Cinéma. Cheveux gris et veuve noire dans le téléfilm « Le Clan des Lanzac » ; cheveux blonds et amoureuse d’un homme jeune dans « Les Beaux jours », au cinéma, Fanny Ardant, 64 ans, n’aime rien moins que le grand écart. L’actrice se joue des conventions, des usages et du temps.
Dans quel sentiment avez-vous joué cette femme amoureuse, rayonnante, des « Beaux jours » ?
J’ai toujours pensé que la grande histoire de la vie était l’amour. Tout le reste est vain. J’ai bien dit l’amour : le vrai. Le faux, c’est l’arrangement, le conformisme social. Le pire, c’est le silence, l’indifférence, la méchanceté. Dans cette histoire, j’aime beaucoup mon mari. Je ne suis pas une femme perdue, abandonnée du monde entier, mais une femme libre et gourmande, qui aime la vie et qui n’en a pas peur.
Vous souriez, vous riez, vous êtes drôle. Regrettez-vous que le cinéma emploie si peu votre fantaisie ?
Je suis lourde, vous savez. Je ne suis pas une actrice comique. En même temps, j’aime l’insolence. Dans « Les Beaux jours », ce qui est bien et léger, c’est qu’on me propose pour la première fois une histoire d’amour avec un homme qui ne peut m’apporter que du plaisir. Il me ramène à l’enfance, aux bêtises que l’on fait quand on a 15 ans.
Je suis lourde, vous savez. Je ne suis pas une actrice comique. En même temps, j’aime l’insolence. Dans « Les Beaux jours », ce qui est bien et léger, c’est qu’on me propose pour la première fois une histoire d’amour avec un homme qui ne peut m’apporter que du plaisir. Il me ramène à l’enfance, aux bêtises que l’on fait quand on a 15 ans.
Une pièce de Jean-Pierre Sarrazac s’appelle « Vieillir m’amuse ». Vous pourriez le dire ?
Oui ! Mais la vieillesse est un temps où on est rejeté par la société qui veut que l’on soit actif, productif, taillable et corvéable à merci. En vieillissant, quelque chose échappe. On se demande : vais-je rentrer dans le rang ? Que vais-je faire ? Mais on dit le 3e âge, de qui se moque-t-on ! Il y a le 4e, le 5e, le 6e âge maintenant puisqu’on va vivre très longtemps. Pourquoi vouloir mettre les gens dans des tranches, des cases, comme des archives de police ?
Vous avez des petits-enfants. Vous vous plaisez dans l’art d’être grand-mère ?
Oui. J’adore la compagnie des petits enfants. On peut raconter des histoires, écouter les leurs, on peut dire des bêtises en mangeant des glaces dans un jardin. Quand on leur parle aux enfants, c’est bien, même les adolescents.
Pourquoi avez-vous eu le désir de passer derrière la caméra ?
Je n’ai pas de vraie réponse. J’y suis allée, voilà, sans explication logique. C’est venu peut-être de l’envie de raconter des histoires en images. J’aime beaucoup ce jeu des cours de récréation : « Tu serais les gendarmes, on serait les voleurs. » C’est ce même temps magique au cinéma, au théâtre, où tout est possible.
Qu’avez-vous appris, vous l’actrice, en tant que cinéaste ?
Le travail de metteur en scène sur un plateau est différent. Tellement de choses, de questions se bousculent. Il faut être très près ; c’est le contraire d’être actrice, disponible. Le réalisateur doit tout contrôler. J’ai vu des acteurs qui posaient des questions au metteur en scène qui avait l’air de tomber de sa chaise. J’ai vu au contraire des metteurs extrêmement précis, qui savaient exactement ce qu’ils voulaient. Ces cinéastes précis m’ont toujours plus.
Le cinéma met à l’abri ?
Oh oui, le cinéma vous protège, même s’il peut aussi faire mal. Sur le plateau, on recrée un monde comme des enfants. Et au théâtre, c’est comme une boîte dont le quatrième mur est ouvert, comme si on entrait comme dans le ventre de la mère, le ventre de la terre, où tous les sentiments les plus extrêmes se jouent, même les plus terribles. C’est rassurant parce qu’il y a une fin.
J’ai l’impression que dans la vie il n’y a jamais de sens aux choses, contrairement au cinéma. En une heure et demie, tout a un sens.
Au cinéma, vous avez joué Maria Callas. Chanter vous aurait plu ?
C’est un vrai métier que je n’ai pas. J’ai chanté en tant qu’actrice comme dans « 8 femmes » de François Ozon. Mais je n’ai pas de voix de chanteuse, je n’ai pas de souffle, un si petit filet. J’ai tellement aimé les chanteuses comme Nina Simone ou Amy Winehouse, des chanteuses à voix. J’ai l’impression que si on ne brûle pas sur les planches, ce n’est pas la peine. Cela ne vaut rien de pousser une petite chansonnette pour dire trois mots. Je comprenais Maria Callas, qui avait voué à cela toute sa vie, qui pouvait passer des mois sur un son.
Au cinéma, au théâtre, vous vous dévouez pendant des mois à vos rôles ?
Vous savez, j’ai toujours joué des gens comme vous et moi. Alors travailler quoi ? L’amour ? La jalousie ? Je pense toujours au regard de l’autre, l’acteur avec qui je joue, l’instant, le temps suspendu.
La seule chose que je peux faire, dans ce travail, c’est de me rendre disponible parce que tout peut arriver.
Etre dans une disponibilité telle que la joie, le chagrin, la colère peuvent advenir. Je ne veux pas être dans une construction mentale pour me retrouver prisonnière de ce que j’avais prévu et qui n’arrive pas sur le tournage.
Le théâtre est plus préparé ?
Le théâtre, oui, c’est le contraire. Il faut savoir bien son texte, tous les parcours. Alors quand arrive ce moment terrible du rideau qui se lève, avec l’adrénaline qui vous enlève 70 % de vos moyens, vous avez tellement bien balisé comme un navire dans la tempête, que vous pouvez tout restituer. La charpente est là. Tout est intériorisé.
Vous vous êtes mobilisée, en allant même jusque devant Conseil de l’Europe, en faveur des Roms.
Cette cause a-t-elle avancé ?
Il y a une montée de l’intolérance à leur égard très inquiétante. On veut leur enlever leur particularité extrême, le nomadisme. En Hongrie, en Ukraine, c’est abominable. Dans l’Europe, la belle Europe qui vient soi-disant de la démocratie ! Eh bien quoi ? On devrait avoir la légitimité de son seul portefeuille, de sa seule classe sociale ? C’est honteux, ça ! Même en France, la politique amorcée avec l’autre présidence s’est poursuivie avec cette présidence. Tout le monde s’en fiche. Cela me dégoûte. Il y a tellement de clameurs partout que cette voie des Roms est étouffée.
Je ne lis jamais les journaux. Je ne regarde pas la télévision non plus. Je ne regarde pas internet, je n’ai pas de compte twitter. J’ai toujours su ce qui se passait par les gens. Vous avez remarqué que les choses importantes se savent toujours, dans ce contexte de surinformation ? Tout est raconté.
Les Beaux jours » de Marion Vernoux sort le 19 juin au cinéma.
Recueilli par Nathalie Chifflet
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