C'était l'un des derniers grands événements du "IN" d'Avignon, cette année : Fanny Ardant en Cassandre, dans une adaptation de la nouvelle de l'Allemande Christa Wolf, mise en musique par Michael Jarrell. Une réussite complète, avec une Fanny Ardant exceptionnelle.La Troyenne Cassandre n'a plus qu'une heure à vivre. Elle le sait, elle qui "descend vers la mort", qui n'a cessé d'alerter les hommes sur le drame qui les attend. Cassandre va s'éteindre, mais jusqu'au bout la prêtresse sera fidèle à elle-même, elle parlera, même si personne ne veut l'entendre. A Avignon, on attendait évidemment avec impatience et un soupçon d'anxiété cette rencontre entre la nouvelle de Christa Wolf, réinterprétation du mythe antique écrite en RDA en 1982, les notes contemporaines du Suisse Michael Jarrell et le tempérament de Fanny Ardant. Jarrell entretenant le mystère en annonçant un monodrame… sans chant ou un opéra sans chanteur. Peu importe le nom de ce que nous avons vu mercredi soir à Avignon, quelques minutes ont suffi à Fanny Ardant et aux formidables musiciens qui l'accompagnaient pour nous démontrer la justesse du projet.
Cheveux tirés, manteau noir, Fanny Ardant apparaît sur une scène essentiellement occupée par un long rideau rouge. L'orchestre est en l'air, au dessus d'elle, l'unique interprète des mots de Christa Wolf. Lanceuse d'alerte antique, Cassandre-Fanny Ardant sait. La malédiction d'Apollon lui a offert le don de divination mais aussi l'incapacité à être crue. Elle dit, elle prévient, s'égosille en vain. On la recadre. "Tu n'approuves pas le plan ? – Non – Mais tu te tairas ? – Non." Il lui reste une heure à vivre, et elle raconte l'échec qui aura été le sien, porteuse de sombres nouvelles, dont la voix n'atteint plus.
Ecrin sonore
Sur les notes magnifiques et très inspirantes de Michael Jarrell, Ardant déploie toutes les facettes de son talent. Tour à tour tragédienne ou gouailleuse, puissante ou fragile, elle n'en fait jamais trop. On devine le travail exigeant qui l'a amené à cette harmonie parfaite avec l'écrin sonore du compositeur suisse. Plusieurs fois, la boucle musicale surligne l'impasse des situations, Ardant en joue à merveille.
Dès lors, la mise en scène peut s'autoriser la sobriété. Parfois, Cassandre se tait tandis que des images apparaissent sur les murs, prises dans le viseur d'un avion de guerre qui cherche sa cible, hésitant sur le pâté de maisons à bombarder. "Tu diras la vérité, mais personne ne te croiras". Jusque bout, elle aura tenté de réveiller les siens, cerveaux engourdis faisant rentrer le funeste cheval dans leur cité.
Brillante, émouvante, époustouflante, Fanny Ardant aura été une Cassandre d'exception, saluée par leublic de l'Opéra d'Avignon qui lui a réservé une longue ovation. Un grand moment du festival 2015, à l'évidence.
Cassandre vue par Fanny Ardant
"Cassandre, c'est celle qui dit non. Vous me dites que c'est une femme forte, je ne le crois pas. Elle est la voix de l'être humain contre la Cité, la société. Et c'est de plus en plus important dans notre époque où la pensée commune asphyxie l'esprit. Cassandre, ça se joue en une heure, la dernière heure avant sa mort."
Cassandre vue par le metteur en scène Hervé Loichemol
"Cassandre ne prend pas la pose, ce n'est pas une posture. Elle ne fait pas exprès de dire non. Elle ne peut pas faire autrement. C'est une perdante magnifique. Et moi, à titre personnel, j'aime les perdants, pas les vainqueurs. L'échec est émouvant, il vous conduit à l'os, tout simplement."
La musique de Michael Jarrell vue par Fanny Ardant
"J'ai toujours eu un rapport difficile avec la musique contemporaine. Il faut vivre avec elle, ce n'est pas instantané. La musique de Jarrell est devenue comme une alliée. Ce n'est pas du Mozart avec un début, un milieu et une fin."
Fanny Ardant vue par Hervé Loichemol
"Ce fut une rencontre assez joyeuse. Bien sûr, j'ai envie de retravailler avec elle. Mais, Fanny, on le lui propose pas un projet dix ans à l'avance". (Elle confirme : "Si tout est programmé, bien policé, ça m'ennuie").
(propos recueillis par Arnaud Laporte - France Culture lors de la rencontre avec la presse du 21 juillet)
Cassandre d'après Christa Wolf
musique : Michael Jarrell (Jean Deroyer avec le Namascae Lemanic Modern Ensemble)
mise en scène : Hervé Loichemol
Production : Comédie de Genève
Coproduction : Namascae Lemanic Modern Ensemble, Compagnie FOR
Après la représentation unique du 22 juillet à l'Opéra Grand Avignon, Cassandre sera repris à l'automne à la Comédie de Genève avant d'autres dates internationales.
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